mardi 13 septembre 2011

Chronique financière du 12 septembre 2011


Peut-être comme de nombreux français vous regardez se développer la crise financière avec inquiétude, parce que d’une part il est un peu difficile de comprendre les mécanismes financiers qui sont en jeux, et d’autre part il est aussi bien difficile de comprendre ce que nous disent les commentateurs.

Par exemple Mme Lagarde lorsque elle était ministre des finances disait que les banques française avaient suffisamment d’argent, et maintenant qu’elle est présidente du F.M.I. elle déclare au contraire qu’elles ont besoin d’être recapitalisées de plusieurs centaines de milliards d’euros. De même un ministre allemand à déclaré qu’il fallait maintenant envisager l’option d’une faillite de la Grèce, mais il a été immédiatement démenti par un de ses collègues. Enfin la palme revient à Jean-Claude Junker, président de l’Eurogroupe qui à déclaré «lorsque les temps sont graves ils faut savoir mentir». Tenez vous le pour dit !

Quel est le scénario de la crise en cours ? Si l’on veut bien enlever ses oeillères, il est relativement simple. C’est celui de la défaillance de la Grèce qui ne peut plus assumer de vivre en «colocation» autour d’une monnaie qui est devenue trop chère pour elle. Il va falloir qu’elle retrouve sa compétitivité en sortant de la zone Euro et probablement en réintroduisant une nouvelle monnaie. Cette solution est porteuse de beaucoup d’optimisme et de réalisme pour le peuple grec car on voit bien que la solution qui lui est proposée, qui consiste à vouloir lui faire rembourser jusqu’à la lie sa dette, est absolument inefficace. C’est donc un programme d’espoir pour la Grèce.

Evidemment cela va entrouvrir une brèche dans le système de l’Euro et c’est bien cela que nos hommes politiques cherchent avant tout à éviter. Cela ouvrirait bien évidement la porte à ce que le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et pourquoi pas la France demandent tour à tour de quitter la zone Euro, en faisant défaut sur leur dette.

Le deuxième élément qui va se produire, peut-être même avant (la faillite de la Grèce) sera la défaillance généralisée d’un grand nombre de banques européennes. Elles n’ont pas la capacité d’absorber les pertes qu’elles vont subir sur les prêts qu’elles ont accordés aux pays européens.

Le troisième élément sera une récession assez sévère avec une hausse significative du taux de chômage. Enfin en France nous pourrons avoir une crise immobilière. Le prix des logements est environ deux fois trop élevé par rapport aux revenus des ménages par comparaison aux normes historiques. Il est très probable qu’à l’occasion de la crise les banques soient contraintes d’assécher le crédit aux ménages ce qui entrainera une baisse de la demande des biens immobiliers et aussi des prix.

Tout cela il va falloir l’anticiper et pour cela j’ai préparé une liste de dix points qui me semblent particulièrement pertinents dans le cadre de cette future crise européenne qui va se dérouler dans les prochains mois. J’ai essayé d’être extrêmement pragmatique afin de donner des directions et permettre à chacun d’anticiper et d’agir pour se prémunir des conséquences de la crise.

Point 1) Ne pas trop s’inquiéter
La peur est très mauvaise conseillère, il faudra savoir raison garder et garder la tête froide.

Point 2) Anticiper
Pour cela informez vous au maximum en essayant d’avoir l’esprit critique afin de ne pas vous faire prendre par les événements, ne pas être trop surpris et donc ne pas être pris à contrepied.

Point 3) Aspects bancaires
Il n’est pas nécessaire de faire des retraits importants d’argent auprès de votre banque ni même de multiplier vos banques. Les exemples historiques ont montré que lorsque de telles difficultés surgissent, en général les Etats garantissent les dépôts des particuliers, quand bien même leurs banques seraient amenées à faire faillite.

Point 4) Assurer ses revenus
Essayez d’assurer vos sources de revenus pour les deux ou trois prochaines années. Cela veut dire par exemple que si vous travailler dans une entreprise qui ne va pas très bien sur le plan économique, il serait peut-être judicieux de songer à changer d’entreprise tant qu’il en est encore temps, plutôt que de se retrouver licencié dans un an et demi et être au chômage avec un marché de l’emploi un peu compliqué.

Point 5) Limiter les dépenses
Coupez les dépenses superflues : c’est un conseil vraiment approprié dans les temps de crise.

Point 6) Liquidités
Retirer votre argent de la bourse, des actions et aussi de tous les supports qui sont soit-disant à capital garanti que sont les assurances vies en euros, puisque si faillite il y a dans la zone Euro, et je pense qu’aujourd’hui on se dirige vers cette éventualité avec une probabilité très très forte, il y aura des pertes en capital sur ces supports qui vous ont été vendus comme des investissements à capital garanti et qui malheureusement ne le seront pas. L’idéal je pense est d’avoir le maximum de liquidité car à la sortie de la crise il y aura des opportunités extraordinaires. Peut importe de ne pas avoir de rémunération sur son capital pendant six mois, un an ou deux ans, si à la sortie de crise vous avez des capacités d’investissement intactes qui vous permettront alors de profiter des prix particulièrement bas de certains actifs.

Point 7) Or
Il est tout à fait légitime d’acheter de l’or dans des quantités raisonnables. C’est un actif refuge par excellence dans les périodes troublées comme celle que nous allons vivre dans les prochains mois.

Point 8) Immobilier
Réfléchissez à la proportion d’immobilier dans votre patrimoine. Surtout si vous avez des emprunts adossés qui sont importants car l’effet de levier, s’il devient négatif, est absolument dévastateur. Si c’est votre cas je vous conseille de vous renseigner sur internet et de vendre une partie de votre patrimoine tant que les prix de l’immobilier sont encore très élevés et ainsi sécuriser votre capital.

Point 9) Bilan patrimonial et budget de dépense
Faites votre bilan patrimonial et une revue des dépenses prévisibles sur les prochaines années afin de pouvoir anticiper sur celles-ci et ne pas être pris de cours en cas d’incident financier.

Point 10) Rester optimiste
Je crois que c’est le conseil de plus important : restez optimiste. C’est votre meilleur atout. Les crises sont des périodes anxiogènes mais sont aussi des périodes d’extraordinaires opportunités pour ceux qui savent garder la tête froide et réinvestir à la sortie. Il y aura alors des opportunités assez exceptionnelles et j’espère que vous et moi pourront en profiter. Ce n’est pas encore d’actualité alors faisons le gros dos dans la tourmente tout en conservant à l’esprit qu’après la tempête, le beau temps va revenir.

mercredi 16 mars 2011

Dans l’œil du cygne noir

« Quel est le point commun entre un accident nucléaire et une crise financière ?

Cela ne pouvait pas arriver ici… »

1. Le cygne noir

L’expression « cygne noir » a été utilisée de l’antiquité jusqu’au 18èmesiècle. Tous les cygnes alors observés étaient blancs et l’expression « cygne noir » désignait une chose totalement impossible. C’était en quelque sorte l’équivalent de « quand les poules auront des dents… ». En Europe l’étonnement fut général lorsque les Anglais découvrirent des cygnes noirs en Australie. L’expression tomba donc en désuétude jusqu’à ce que l’écrivain Nassim Nicholas Taleb la popularise de nouveau avec le livre « Le cygne noir » (« The black swan » en anglais). Il renverse le sens originel de l’expression et l’utilise pour désigner les événements jugés improbables, voire impossibles, et qui pourtant se réalisent. Lorsqu’il ne s’agit que de la couleur d’un cygne cela fait de bons articles de journaux pour la rubrique « insolite ». Le phénomène est plus sérieux lorsque le cygne noir est un événement risqué, jugé trop improbable pour être pris en compte, et qui pourtant se réalise.

2. L’œil du cygne à Fukushima

La centrale électrique de Fukushima a été conçue pour résister à des séismes de magnitude 8,2. Cette valeur a probablement été retenue parce qu’il s’agissait, au vu des données sismologiques disponibles à l’époque, de l’estimation maximale du risque sismique dans la région. Un séisme de magnitude 8.9 tel que celui de vendredi dernier avait certainement été jugé hautement improbable et pourtant il est arrivé. Voilà un bel exemple de cygne noir.

Cependant les informations dont nous disposons indiquent que la centrale a bien résisté au tremblement de terre. Les concepteurs ont certainement pris une grande marge de sécurité et tous les cœurs nucléaires ont été immédiatement mis à l’arrêt en l’espace de trois secondes, selon les procédures en vigueur. Les dommages les plus importants sont dus au raz-de-marée qui a déferlé sur les installations de refroidissement quelques minutes plus tard. Il semble que le risque d’un raz-de-marée de cette importance ait été complètement ignoré lors de la conception de la centrale. Le simple fait que celle-ci se trouve seulement quelques mètres au-dessus des flots semble l’attester. En effet il aurait été facile de surélever les installations de la centrale d’une vingtaine de mètres pour la protéger totalement. C’est donc un deuxième cygne noir qui s’est manifesté à Fukushima ce vendredi funeste.

Aujourd’hui, mercredi 16 Mars, le journal Le Monde nous informe dans cet article que le réacteur 4 concentre désormais les inquiétudes. Ce réacteur était pourtant à l’arrêt et en maintenance depuis plusieurs mois lors du séisme et du raz de marée. L’inquiétude provient de la piscine de refroidissement des combustibles usagés. La piscine a probablement été vidée d’une partie de son eau et chauffe de manière anormale. Or cette piscine contient plusieurs dizaines de fois plus de matière radioactive que les réacteurs 1, 2 et 3 en fonctionnement jusqu’à vendredi dernier. Le plus surprenant est que cette piscine n’est pas confinée dans une enceinte étanche comme le sont les réacteurs. La piscine était séparée de l’extérieur par deux couches de protection : l’eau qui s’est évaporée ou échappée en partie et le toit en tôle du réacteur qui a été soufflé par une explosion d’hydrogène. On n’y croirait pas si ce n’était pas si grave : la majeure partie des matières radioactives dangereuses de la centrale étaient stockées sans protection d’acier ou de béton. Elles sont vraisemblablement aujourd’hui même exposées à l’air libre. Les efforts de sécurité se sont probablement concentrés sur les réacteurs tandis que des quantités de déchets bien plus importants étaient stockées sans aucune protection particulière. Le danger a encore une fois été sous-estimé car on ne pensait pas que la centrale puisse être endommagée à ce point. Voilà un troisième cygne noir.

Le cygne noir a en effet cette caractéristique très importante : il ne vit pas seul. Lorsque les Anglais ont observé le premier cygne noir en Australie ils en ont probablement découverts plusieurs sur un lac et peut-être des milliers dans les semaines et les mois suivants. Jacques Chirac avait une expression imagée à ce sujet « les merdes c’est comme les hirondelles, elles volent en escadrilles ». Voilà pourquoi il faut se méfier des cygnes noirs, non seulement ils sont imprévus mais en plus ils ont une fâcheuse tendance à se regrouper en bandes. Les conséquences négatives se trouvent multipliées et peuvent transformer un accident certes imprévu mais maîtrisable en catastrophe incontrôlable.

L’analyse a postériori des crashs d’avions confirme souvent ce scénario : une multitude d’incidents techniques et d’erreurs humaines bénignes s’additionnent et concourent à la catastrophe.

3. L’œil du cygne en Finance et en Europe

Nassim Nicholas Taleb décline longuement le thème du cygne noir dans le domaine de la finance. Par avidités les opérateurs financiers sous-estiment ou ignorent souvent des risques afin de gagner plus d’argent (ou en perdre moins). C’est l’essence de la « crise des subprimes » aux Etats-Unis : les banques ont vendu des produits d’épargne constitués par des paniers de prêts immobiliers de mauvaise qualité. L’argumentaire de vente était le suivant :

  • « Certes les prêts individuellement sont de mauvaise qualité mais la diversification des prêts nous permet de maitriser le risque. Grace à des études statistiques nous connaissons le nombre de défauts (pertes) dans le panier. Cela nous permet de vous fournir un taux de rendement plus intéressant sans aucun risque (note AAA grâce aux statistiques). »

C’était là un bel appeau pour les escadrilles de cygnes noirs : les prêts se sont comportés comme des pommes pourries. Dès que les premières pommes du panier ont pourries elles ont contaminé les autres jusqu’à ce que toutes les pommes soient pourries et que le panier ne vaille plus rien.

Venons-en à la situation européenne. Le cygne noir a frappé en Grèce : les finances sont en faillite et le pays ne survit plus que grâce à l’aide extérieure du F.M.I. et la bonne volonté des dirigeants allemands et français. Là encore l’impossible est arrivé : une faillite dans la « zone euro ». Cet euro censé apporter la prospérité aux grecs et les protéger des crises. Les responsables européens ont désignés les coupables : les dirigeants grecs magouillant la comptabilité nationale et les spéculateurs attirés par l’odeur de l’argent. L’incident fut déclaré isolé et clos : la zone euro n’était pas menacée. Sauf que quelques mois plus tard l’Irlande elle aussi trébuche et là encore il a fallu intervenir pour sauver le pays. Va-t-on en rester là ? L’histoire nous le dira mais tout semble en place pour que le Portugal à son tour ait besoin d’aide pour éviter le défaut de payement, puis l’Espagne, puis … la France ?

Bien sur la faillite de la France est un scenario « inimaginable » car « ici c’est différent » ! Et pourtant certains économistes ont imaginé le scénario d’une faillite de la France. (Voir le livre de Philippe Jaffré « Le jour où la France a fait faillite »). Le premier ministre François Fillon l’a aussi évoqué « Je suis à la tête d’un Etat en faillite ». Ce scénario est pour l’instant tabou car la faillite de l’Etat, tout comme les accidents nucléaires, ça n’est jamais arrivé chez nous et ça ne peut pas nous arriver.

C’est probablement ce que pensaient aussi les Japonais jusqu’à la semaine dernière. D’ailleurs avec la dette publique la plus importante du monde, ils risquent bien un jour de faire faillite également…